C’est à cause de ça que l’arbre te fascine, ou t’étonne, ou te repose, à cause de cette évidence insoupçonnée, insoupçonnable, de l’écorce et des branches, des feuilles. C’est à cause de cela, peut-être, que tu ne te promènes jamais avec un chien, parce que le chien te regarde, te supplie, te parle. Ses yeux mouillés de reconnaissance, ses airs de chien battu, ses gambades de chien joyeux, t’obligent sans cesse à lui conférer l’ignoble statut de la bête domestique. Tu ne peux rester neutre en face d’un chien, pas plus qu’en face d’un homme. Mais tu ne dialogeras jamais avec un arbre. Tu ne peux pas vivre en face d’un chien parce que le chien, à chaque instant, te demandera de le faire vivre, de le nourrir, de le flatter, d’être homme pour lui, d’être son maître, d’être le dieu tonnant ce nom de chien qui le fera aussitôt s’aplatir. Mais l’arbre ne te demande rien. Tu peux être Dieu des chiens, Dieu des chats, Dieu des pauvres, il te suffit d’une laisse, d’un peu de mou, de quelque fortune, mais tu ne seras jamais maître de l’arbre. Tu ne pourras jamais que vouloir devenir arbre à ton tour.
Taken from “Un homme qui dort” by Georges Perec.