Il lisait d’une voix bégayante, le soir, après avoir avalé sa soupe. Nous n’osions point l’interrompre bien que cette lecture fût toujours longue, pénible à tout le monde et surtout à lui-même. Car il avait l’air d’avancer à travers cette nomenclature comme à travers un buisson d’épines, de s’y frayer un chemin en trébuchant d’un mot sur l’autre. Parfois, quand il avait affaire à un mot trop savant, il engageait avec lui une lutte comme il aurait fait avec une bête. Coûte que coûte, il fallait passer outre, surmonter l’obstacle. A aucun prix il ne se fût résolu à l’éviter. Avec cette opiniâtreté farouche qui était dans son caractère il s’obstinait, prenant le mot rebelle par tous les côtés possibles. Il en faisait le siège et finissait par en triompher, c’est-à-dire par le prononcer à peu près comme il faut.
Taken from “Le pain des rêves” by Louis Guilloux.