Un matin, vers 4 heures, son infirmière me réveille: “Votre frère vous demande. - Il se sent mal?” Elle ne répond rien. Je m’habille en hâte et rejoins mon frère. Il me dit d’une voix ordinaire: “Je voulais te parler avant de mourir. Je vais mourir.” Une crise nerveuse le crispe et le fait taire. Durant la crise, il fait “non” de la main. Et je ne comprends pas le geste. J’imagine que l’enfant refuse la mort. Mais, l’accalmie venue, il m’explique: “Ne t’effraie pas… je ne souffre pas. Je n’ai pas mal. Je ne peux pas m’en empêcher. C’est mon corps.” Son corps, territoire étranger, déjà autre. Mais il désire être sérieux, ce jeune frère qui succombera dans vingt minutes. Il éprouve le besoin pressant de se déléguer dans son héritage. Il me dit: “Je voudrais faire mon testament…” Il rougit, il est fier, bien sûr, d’agir en homme. S’il était constructeur de tours, il me confierait sa tour à bâtir. S’il était père, il me confierait son fils à instruire. S’il était pilote d’avion de guerre, il me confierait les papiers de bord. Mais il n’est qu’un enfant. Il ne confie qu’un moteur à vapeur, une bicyclette et une carabine. […] Mon frère m’a dit: “N’oublie pas d’écrire tout ça…” Quand le corps se défait, l’essentiel se montre.
Taken from “Saint-Exupéry” by Virgil Tanase.